Le numérique à l’école, un outil d’inclusion pour tous ?
Avec plus 12 millions d’élèves dont près de 800 000 qui entrent chaque année au CP, la France fait face à chaque rentrée au grand défi d’éduquer des enfants qui arrivent tous avec leurs différences et leurs particularités à l’école. A à peine six ans, certains sauront déjà lire, on aura remarqué dès la maternelle chez d’autres des difficultés d’attention ou des troubles « dys » (dyspraxie, dysphasie, dyslexie…), quelques-uns auront un handicap, d’autres encore seront issus de familles défavorisées et désavantagées ayant parfois du mal à accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages : un terreau cognitif et social posé comme un défi pour l’école de l’égalité des chances.
Alors que l’on parle beaucoup du numérique à l’école – que la crise sanitaire a mis en lumière avec l’école à distance -, et à l’heure où la société se transforme à un rythme exponentiel avec le digital, on doit s’interroger sur son rôle dans l’éducation de toute une classe d’âge. Quels enjeux pour les nouvelles générations ? Le numérique est-il une opportunité pour l’inclusion de tous les enfants ? Quel rôle joue-t-il dans la perspective d’une école pour tous ? Comment peut-il préparer au mieux les élèves au monde de demain et contribuer au développement technologique, économique et social de la France?
Si l’on sait que le droit à l’éducation pour tous les enfants, quels que soient leurs handicaps, est un droit fondamental, on réalise souvent peu que ce sont près de 350 000 enfants ou adolescents en situation de handicap qui sont scolarisés en France, soit près de 3% des élèves. Plus encore, si l’on considère les troubles « dys », près d’un enfant sur dix serait concerné, 4 à 5% pour de la dyslexie, 3% de la dyspraxie et 2% de la dysphasie. Handicaps et troubles « dys » sont donc le quotidien d’une école qui doit répondre aux besoins de tous et faire sienne l’accessibilité. En classe, les AVS (assistant de vie scolaire) et AESH (accompagnateur des élèves en situation de handicap) contribuent de manière remarquable à l’inclusion de ces élèves aux besoins spécifiques. Une première pierre à l’édifice nécessaire mais qui ne fait pas tout. L’introduction du numérique à l’école apporte, quant à elle, d’autres réponses tout aussi opérationnelles. En effet, qu’il s’agisse de matériels numériques adaptés, de technologies distinctes ou d’applications pédagogiques particulières, les nouvelles modalités d’apprentissage rendues possibles par le numérique contribuent grandement à l’inclusion de tous les élèves au sein d’une même classe. Cela est particulièrement vrai pour les « dys ». Là où ils peinent en classe traditionnelle, souvent parce que leurs handicaps leur fait perdre un temps précieux de déchiffrage et de compréhension, le numérique les aide de façon spectaculaire. De nombreuses applications numériques permettent une restitution visuelle de textes ajustée leur donnant les clés pour y arriver : syllabes de différentes couleurs, modification de la couleur du texte et du fond, espacement des lignes, règles pour mieux lire sa ligne, accompagnement audio… Au rang des innovations numériques, citons aussi celles des petits équipements individuels et portatifs de la taille d’un stylo qui fournissent une aide précieuse à l’apprentissage de la lecture pour les mal-voyants en leur permettant de scanner un texte et d’en obtenir une restitution audio immédiate. De quoi intégrer les élèves « dys » ou en situation de handicap dans une classe dite « normale ». On voit bien, dès lors, l’opportunité d’inclusion représentée par le numérique éducatif et l’enjeu sociétal de le faire entrer à l’école au bénéfice de ces élèves aux besoins spécifiques.
Le numérique se révèle également un atout pour les enfants malades. Ce sont en effet près de 11 000 élèves par an qui sont scolarisés dans des établissements hospitaliers et sanitaires. La continuité de leur parcours doit être assurée quelle que soit leur situation si leurs conditions d’hospitalisation le permettent. Des dispositifs comme l’école à l’hôpital ou les enseignements du CNED constituent des premières réponses. Le numérique, quant à lui, peut aider l’élève en réinstaurant de la proximité avec sa propre classe : les robots de téléprésence, dont les écoles s’équipent peu à peu, lui permettent depuis sa chambre d’hôpital, à l’aide d’une tablette ou d’un ordinateur, de participer aux cours à distance via le robot qui, dans la classe, lui donne vie et lui donne la parole. Ce dernier recrée le lien et l’intégration dont on sait qu’ils sont des facteurs puissants de guérison.
Si les avantages du numérique éducatif ne sont plus à débattre pour l’inclusion de publics aux besoins spécifiques, les enjeux qu’il revêt vont bien au-delà. Il joue en effet un rôle essentiel, encore malheureusement mal connu, auprès des élèves en difficulté et en décrochage scolaire. Joie, motivation, nombreuses sont les études qui mettent en évidence que l’expérimentation et le travail en autonomie sur une tablette ou un ordinateur suscitent des comportements plus engagés de la part des élèves. Les trois quarts des enseignants pensent que le numérique fait progresser les élèves dans leurs apprentissages. Ces derniers, quant à eux, sont les deux tiers à trouver le cours plus intéressant grâce à lui. Mais ce n’est pas tout. Par-delà le regain de motivation et d’intérêt suscité chez les élèves, le numérique éducatif offre les moyens de personnaliser les apprentissages et de faire progresser tous les élèves. En effet, si la pédagogie différenciée, qui permet une approche d’enseignement et d’apprentissage par petits groupes, n’a pas attendu le numérique pour prendre place dans les classes, ce dernier la rend plus simple et praticable. La constitution de groupes de travail et la distribution numérique de ressources et exercices pédagogiques différenciés est un vrai plus pour que chacun acquière les notions à son rythme et selon ses acquis. De quoi rattraper et réembarquer des élèves en difficulté sur telle ou telle compétence et créer la réussite essentielle à la motivation.
Enfin, le champ des possibles ouvert par l’adaptative learning apparaît comme la nouvelle frontière de l’enseignement personnalisé essentielle à l’inclusion : cette tendance émergente, en créant, grâce à l’IA, des parcours numériques dynamiques pour chaque élève en fonction de ses acquisitions donne à tous les moyens de progresser individuellement.
Qu’il s’agisse de l’accessibilité des élèves aux besoins spécifiques ou des réponses apportées aux élèves en difficulté et aux décrocheurs, le numérique à l’école fait bien la preuve de son utilité en termes d’inclusion. Cependant s’il contribue à donner corps au projet de société d’une éducation pour tous, rendue obligatoire par la loi Jules Ferry de 1882, il n’en reste pas là. Le numérique à l’école revêt en effet également un enjeu économique et social essentiel : préparer les jeunes générations au monde toujours plus technologique qui est le leur alors que leurs ainés peinent pour beaucoup à s’y acculturer.
Un chiffre et un néologisme interpellent. Treize millions de Français rencontrent des problèmes d’accès à Internet et éprouvent des difficultés avec le numérique, ce qui aujourd’hui est une véritable cause d’exclusion économique et sociale. Les tranches d’âge les plus jeunes ne sont pas épargnées. Cette situation a même donné naissance à un nouveau mot, l’illectronisme, le nouvel analphabétisme du XXIème siècle auquel nous ne saurions nous résoudre. La prise de conscience de cet illettrisme numérique fait penser à raison que l’école a un rôle à jouer dans la formation au numérique, facteur clé d’inclusion pour le monde d’aujourd’hui et de demain. D’abord, il semble capital que les élèves comprennent le numérique pour ne pas le subir. L’intégration de l’apprentissage de la programmation dès le cours élémentaire depuis 2016 va dans ce sens. Mais ce n’est pas tout. A l’heure où l’intelligence artificielle, la robotique et les réseaux investissent nos sociétés et redistribuent les cartes, la question des nouvelles compétences à acquérir à l’école se pose avec acuité. Là où l’éducation française se posait traditionnellement, et à raison, sur l’acquisition des savoirs fondamentaux, l’évolution de pratiques pédagogiques favorisant l’expérimentation, le travail collaboratif, le décloisonnement des matières, et l’apprentissage en « mode projet » est nécessaire pour créer et vivre dans un monde numérique. Car c’est un fait, ces nouvelles compétences seront capitales pour l’employabilité des plus jeunes. Les études s’accordent à dire que 50% des métiers de 2030 auront radicalement changé avec la révolution digitale. Dans ce contexte, quoi de mieux que l’école pour former au numérique et préparer les générations au monde qui sera le leur demain ? On le voit bien, l’enjeu du numérique à l’école est un enjeu d’inclusion au sens large. Véritable défi pour la société française, la manière dont on le relèvera déterminera la nature de notre développement. Dans cette perspective, l’heure est peut-être venue de plaider pour un nouveau droit fondamental, le droit d’accès et de formation au numérique. Une manière d’inclure tous les Français en commençant à l’école et en leur permettant de vivre au XXIème siècle.