“Face aux écrans, l’école ne pourra pas tout !” déclare Jean-Yves HEPP, Président-Fondateur de UNOWHY

Jean-Yves HEPP, Président et Fondateur de UNOWHY, 1ère EdTech française

Annoncée le soir du réveillon par Emmanuel Macron, la commission d’experts sur les effets de l’exposition des enfants aux écrans doit rendre son avis en avril. Elle a été chargée de dresser un état des lieux et de proposer des recommandations, voire des « interdictions ». Le Premier ministre Gabriel Attal, dans sa déclaration de politique générale, a précisé l’intention : éviter une catastrophe éducative et sanitaire en puissance ». Le ton est donné, les pouvoirs publics ont déclaré la guerre aux écrans.

Pourtant, loin d’être aussi alarmiste, la communauté scientifique évoque des effets « faibles à modérés » (voir la méta-analyse parue dans la revue Nature Human Behavior en novembre dernier) et invite à travailler davantage sur le contexte d’utilisation que le temps d’exposition. Car derrière le mot écran se cache en réalité une multitude d’usages, et donc d’effets sur les enfants.

Parmi les effets délétères, il semble légitime et nécessaire d’encadrer l’exposition des plus jeunes : en moyenne, entre 1 et 6 ans, ils passent déjà 6 heures par semaine sur internet (IPSOS, Junior Connect, 2022). Santé publique France déconseille pourtant d’utiliser internet avant 9 ans et d’attendre 12 ans pour l’utiliser seul. Mais la question n’est pas si simple : que font-ils sur internet ? Regardent-ils un contenu pédagogique ou inapproprié ? Sont-ils en présence de leurs parents ? Les pouvoirs publics doivent ériger des consignes claires pour aiguiller les parents face aux nombreuses pratiques qui existent aujourd’hui.

Autre enjeu de taille, la question des réseaux sociaux et de l’accès à l’information. En attendant l’application de la loi du 7 juillet 2023 qui instaure la majorité numérique à 15 ans, la situation a de quoi inquiéter. Selon la CNIL, la 1ère inscription sur un réseau social a lieu en moyenne à 8 ans et demi. Elle les expose au harcèlement, à la désinformation, à des contenus inappropriés voire pornographiques, etc. Au-delà des actions punitives, le grand défi est bien d’accentuer la prévention. Nos enfants doivent comprendre que les réseaux sociaux sont conçus pour être addictifs, ils doivent connaitre la logique algorithmique qui les anime, et savoir identifier les risques associés de façon à pouvoir les signaler. Pour cela, il est essentiel de les former suffisamment tôt au numérique, avec ou sans écran.

De plus, la maitrise des outils numériques est un impératif pour assurer leur employabilité à l’avenir mais aussi pour protéger leur vie privée. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les digital natives ne développent pas toujours les usages les plus pertinents du numérique. Par exemple, la sociologue Dominique Pasquier (citée par la Délégation aux droits de l’enfant) observe sur le terrain que les enfants s’avèrent incapables de remplir un formulaire en ligne. Enseigner la citoyenneté numérique est aussi devenu un impératif démocratique : Viginum a ainsi décompté une soixantaine d’ingérences étrangères sur les plateformes numériques pendant les élections présidentielles de 2022. L’État ne peut plus rester passif sur cet enjeu de formation.

Finalement, pour protéger les enfants face aux dérives des écrans, les pouvoirs publics sont confrontés à une injonction contradictoire : comment renforcer la formation au numérique tout en limitant l’exposition des enfants aux écrans ? Défi d’autant plus périlleux que la responsabilité est partagée entre une multitude d’acteurs : famille, école, plateformes en ligne, EdTech, associations, etc. Comment encadrer les pratiques dommageables tout en développant les usages positifs du numérique ? S’il ne sera pas aisé pour la commission d’experts de trancher cette question en 2 mois, une chose est sûre : l’école jouera un rôle déterminant.

Car le problème de surexposition aux écrans concerne principalement la sphère privée. Les marges de manœuvre de l’État sont étroites. Soyons lucides : on imagine mal la mise en place d’un couvre-feu numérique comme en Chine. Aussi, comme sur de nombreux sujets sociétaux, ce sera donc à l’école de corriger le tir. La Délégation aux droits de l’enfant de l’Assemblée nationale propose ainsi la création d’un enseignement spécifique au numérique, une discipline qui intégrerait à la fois les compétences numériques et l’éducation aux médias et à l’information.

Plus largement, rappelons que l’intérêt pédagogique des outils numériques dépend surtout de leur capacité à s’adapter au niveau et aux spécificités de chaque élève. La généralisation du dispositif MIA aux élèves de 2nde s’inscrit pleinement dans cette logique en permettant un entrainement personnalisé basé sur l’IA. Le numérique offre également des perspectives très intéressantes pour accompagner les élèves en situation de handicap ou souffrant de troubles dys. Il a aussi un effet positif sur la motivation des élèves et la perception des enseignements. Alors que le Gouvernement a annoncé la mise en place de groupes de niveau, des ressources numériques permettent déjà aux enseignants d’adapter le cours à chaque élève, sans les séparer, ni les stigmatiser. Ces initiatives, aussi intéressantes soient-elles, se heurtent toutefois à deux obstacles : l’absence d’une réflexion d’ensemble menée par l’État, et surtout, un accompagnement et une formation des enseignants qui n’est pas à la hauteur.

Car, ce que l’on a tendance à oublier dans ce débat, c’est que les adultes – parents, enseignants, etc. – sont parfois tout aussi désemparés que les enfants face au numérique. L’illectronisme touche 15% de la population et plus d’un internaute sur cinq ne sait pas protéger ses données en ligne (INSEE, 2023). Dans ce contexte, au-delà de la protection des enfants, comment former l’ensemble de la population aux grands enjeux du numérique ? Aussi déterminante soit-elle, l’école ne pourra pas tout faire.

Profitons de cette prise de conscience collective pour agir véritablement en faveur d’une éducation citoyenne au numérique, cela ne concerne pas que nos enfants.

Cette tribune a été réalisée par Jean-Yves HEPP, Président et Fondateur de UNOWHY.

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